Les législatures provinciales
Au cours du grand débat sur le processus de rapatriement et pendant les procès, on a beaucoup entendu parler de la souveraineté des législatures provinciales. Les tribunaux ont par exemple soutenu qu’aucun amendement ne devait être apporté à la constitution qui affecterait les pouvoirs des législatures sans leur approbation expresse. Il s’agissait, disait-on, d’un droit inhérent à un pouvoir législatif souverain.
Pourtant, en ce jour fatidique du 5 novembre 1981, un accord a été signé par le Premier ministre et neuf Premiers ministres concernant une série d’amendements à la Constitution, dont certains atténueraient les pouvoirs législatifs provinciaux. Cet accord a été signé en sachant que le texte des modifications serait débattu dans les deux chambres du Parlement et devrait être approuvé par chacune d’entre elles. En effet, le Parlement a insisté pour que certaines modifications soient apportées à l’accord avant de ratifier le texte. Par ailleurs, un seul premier ministre a subordonné le consentement de sa province à l’approbation de son assemblée législative. Dans le cas du Manitoba, où une campagne électorale provinciale était alors en cours, le premier ministre Lyon a subordonné son approbation des droits à l’instruction dans la langue de la minorité à l’approbation de la législature manitobaine. Cette condition a d’ailleurs été retirée par le nouveau Premier ministre après les élections. Pour autant que je sache, sur les neuf gouvernements provinciaux qui ont signé cet accord, un seul — l’Alberta — l’a effectivement soumis à l’assemblée législative pour approbation.15 Je dois ajouter que le premier ministre Blakeney a apparemment essayé de le faire, mais qu’il a rencontré des difficultés procédurales et qu’il a abandonné l’initiative.16
Au Québec, bien sûr, le gouvernement a soumis sa position d’opposition à l’entente à son Assemblée nationale, et celle-ci a entériné le veto de M. Lévesque.17
Comme je l’ai suggéré dans ma première conférence, ce contournement des assemblées législatives est assez typique de la pratique passée en matière d’amendements constitutionnels. Bien qu’il soit établi depuis longtemps que les deux chambres du Parlement doivent approuver ces amendements, dans la plupart des cas, l’approbation provinciale n’a été donnée que par les gouvernements provinciaux ou, plus communément, par les Premiers ministres provinciaux. De nombreux porte-parole provinciaux nous ont assuré, au cours du débat sur la Charte des droits, que la suprématie législative était la marque de notre forme de démocratie. Faut-il en déduire que le gouvernement est moins démocratique au niveau provincial ? Loin de moi l’idée de
15. Hansard de l’Alberta, 10 novembre 1981, p. 1569-81.
16. Débats de l’Assemblée législative de la Saskatchewan, 9 décembre 1981, p. 387-403 ; 15 mars 1982, p. 499-50.
17. Québec, Journal des Débats, 1er décembre 1981, p. 605-06.