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Ce qui n’a pas changé au cours de cette période de soixante ans, ce sont les conditions de la légitimité juridique.  Pendant toute cette période, il a été admis que les modifications constitutionnelles qui ne relevaient pas de l’autorité des organes législatifs canadiens devaient être apportées par le Parlement du Royaume-Uni, et qu’elles pouvaient l’être à juste titre par cet organe.  Les projets de loi relatifs à la formule Fulton et à la formule Fulton-Favreau ont été coulés dans le moule conventionnel d’une loi ordinaire du Parlement britannique.  La seule concession à la canadianisation du processus de rapatriement a été l’innovation d’une version française dans le projet de 1964, qui devait être promulguée par les Britanniques sous forme d’annexe, ce qui en faisait l’une des versions officielles de la loi.  Les autorités britanniques de l’époque ont donné leur accord de principe et nous avons pu nous référer à ce précédent en 1980 lorsque nous avons discuté pour la première fois à Londres d’un projet de ce qui est aujourd’hui la Loi de 1982 sur le Canada.

Les années soixante-dix — Une interruption temporaire

Dans ce contexte, il est intéressant d’examiner un instant le processus de rapatriement qui a été envisagé en 1971 au moment de la Conférence de Victoria.  Vous vous souviendrez qu’une série de conférences constitutionnelles fédérales-provinciales a débuté immédiatement après l’année du Centenaire et s’est poursuivie tout au long de la période 1968-1971.  Si, au départ, cette série de conférences mettait l’accent sur un examen approfondi de la substance de la Constitution, elle a ensuite réduit ses objectifs et cherché à parvenir à un accord sur le rapatriement, assorti de quelques amendements.  En juin 1971, au moment de la Conférence de Victoria, grâce aux efforts des gouvernements fédéral et provinciaux, nous avons rédigé un texte intitulé “La Charte constitutionnelle canadienne” ou, plus populairement, “La Charte de Victoria”.  Nous sommes également parvenus à un accord sur un processus de rapatriement.  Ce processus de rapatriement convenu, je pense qu’il est juste de le dire, mettait clairement l’accent sur la légitimité politique de la Charte de Victoria (qui devait découler de l’approbation unanime des assemblées législatives provinciales et des deux chambres du Parlement) et minimisait la légitimité juridique.14

Pour comprendre cette atténuation de la légitimité juridique, il faut comprendre le contexte.  Au cours des trois années de négociations qui nous ont conduits à la Charte de Victoria, le gouvernement du Québec avait suggéré que nous soyons en mesure d’adopter une procédure d’amendement canadienne et d’autres changements sans avoir recours au Royaume-Uni.  Cette proposition était apparemment symptomatique d’un sentiment assez répandu selon lequel les nouvelles dispositions constitutionnelles devaient en tout point être considérées comme canadiennes.  Certains d’entre nous à Ottawa


14. Le texte de l’accord est présenté dans The Constitutional Review 1968-71, Secretary’s Report, (Canadian Intergovernmental Conference Secretariat, 1974), p. 399-402.

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